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Interview de Samuel Mercier : Former des professionnels RH engagés - Ethique, RSE et responsabilité dans un monde en transition

Interview de Samuel Mercier : Former des professionnels RH engagés  - Ethique, RSE et responsabilité dans un monde en transition

Bonjour Samuel, compte tenu de votre expérience et de votre parcours académique, pouvez-vous nous décrire comment vous intégrez concrètement l'éthique des affaires dans le programme du Master en Gestion des Ressources Humaines que vous dirigez ?

Grâce au responsable pédagogique de l’époque, Jacques Dutertre, j’ai eu l’opportunité d’animer un séminaire d’éthique organisationnelle dès 1999 à mon arrivée à Dijon. Je me souviens qu’il était nécessaire de justifier de l’intérêt d’aborder cette question.

L’objectif du séminaire est de faire comprendre aux étudiants ce que recouvre l’univers de l’éthique, de la RSE, du développement durable ainsi que l’élargissement des responsabilités managériales.

J’essaie de les faire rentrer dans le rôle d’un professionnel RH à qui le dirigeant de leur entreprise confierait une mission sur ce thème pour qu’ils soient en mesure de se livrer à un état des lieux de l’éthique dans leur entreprise d’alternance (niveau de formalisation, contenu, matrice de matérialité, labels et reconnaissances obtenus, préconisations…).
Pour aborder concrètement les questions d’éthique, je mobilise depuis longtemps des extraits de séries (The Good Place, Prison Break, 24 Heures Chrono, Squid Game,…) ou de films (Corporate, Révélations, Ceux qui travaillent, Dead Zone, …). En effet, cela permet de mieux capter l’attention de l’auditoire, de favoriser une réflexion critique, de rendre plus accessibles les questions d’éthique et de reproduire des situations de façon réaliste.
En outre, dans le Master, chaque intervenant est incité à développer un volet éthique au sein de son propre séminaire : diversité, éthique et recrutement, éthique et rémunération, éthique et réorganisation, etc…
Enfin, une commission composée d’alternants est en charge de programmer des activités en lien avec le thème de l’éthique : visite d’un centre de tri, collecte de vêtements ou de jouets, course solidaire, insertion des personnes en situation de handicap…

Ayant étudié à l'ENS Cachan et à l'Université Paris Dauphine, vous avez connu des environnements académiques très prestigieux. Comment ces expériences influencent-elles votre approche de l'enseignement de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ?

Mon intérêt pour ces questions remonte à la période où je préparais l’agrégation d’économie et gestion à l’ENS (1991). J’avais constitué un dossier et le thème assez novateur m’avait beaucoup intéressé. J’ai ensuite préparé une thèse de Doctorat à partir de 1992 en choisissant de travailler sur la formalisation de l’éthique en entreprise. J’ai eu l’opportunité de suivre des enseignements de grande qualité (dont mon futur directeur de thèse, très ouvert sur la thématique), de rencontrer des personnes passionnées dans les milieux académiques et professionnels. Cela a développé ma curiosité, mon goût pour l’enseignement de la RSE.

À votre avis, quelles sont les erreurs courantes que les entreprises commettent lorsqu'elles tentent d'intégrer des pratiques éthiques et de RSE ? Comment conseillez-vous à vos étudiants de les éviter ?

L’introduction d’une démarche RSE dans une organisation n’a rien de simple. Sa dimension systémique fait qu’on ne sait pas par où commencer. Je conseille de commencer par des actions simples, d’essayer d’engager le plus de personnes possibles, et de réaliser qu’il s’agit d’entrer dans une démarche de progrès, pour apprendre continuellement. Cela nécessite de disposer d’indicateurs (aussi imparfaits soient-ils) pour mesurer les efforts accomplis.
Il y a un apprentissage individuel et organisationnel, la démarche n’a pas de fin. Les labels ont comme mérite d’offrir un cadre pour se lancer (même si tout n’est pas réductible à leur contenu). Il faut essayer de lutter contre l’inertie organisationnelle et déjouer les lectures sceptiques (« pas assez de temps, de moyens, c’est trop difficile, c’est avant tout aux autres d’agir », etc).

Dans un monde en mutation rapide, comment jugez-vous l'évolution des perceptions des entreprises vis-à-vis de la RSE, et quel rôle les nouvelles générations de gestionnaires devraient-elles jouer pour renforcer cette évolution ?

Globalement depuis les années 1990, beaucoup de progrès ont été réalisés. Même si le socialwashing et le greenwashing sont parfois envahissants, les entreprises ont compris l’enjeu de la RSE. Les événements politiques récents, le débat autour de la CSRD font craindre un certain retour en arrière. Il faut cependant rester optimiste. Les nouvelles générations sont beaucoup plus sensibilisées à ces questions et conscientes de la fragilité de nos éco-systèmes… Ethique et RSE sont l’affaire de tous.

Votre engagement envers les enjeux sociétaux est bien connu. Pouvez-vous partager une expérience personnelle marquante où l'éthique des affaires a joué un rôle central dans une décision ou un projet que vous avez dirigé ?

Canovia, une entreprise dijonnaise (1ère entreprise à mission de Côte d’or) m’a sollicité en 2020 pour prendre part à son Conseil d’impact sociétal constitué de trois personnes. Ce conseil (qui se réunit deux journées par an) joue un rôle important puisqu'il est investi de plusieurs pouvoirs concernant l'organisation de l'entreprise tels que l'évaluation des actions menées par le président et associés, la validation et formulation des avis en matière de RSE. Cet exemple montre qu’un enseignant-chercheur peut jouer un rôle dans l’appréciation des pratiques managériales au sein d’un territoire. Cette expérience s’inscrit en cohérence avec mon parcours académique et montre également une forte cohérence entre les propos en cours et les actions à mener. Cela permet de disposer d’exemples concrets, de montrer la difficulté à faire vivre éthique et RSE au quotidien…
J’ai également participé à un comité éthique d’un fond dans les années 2000 et à plusieurs sessions de Global Compact France, en tant que partie prenante académique.
Au début des années 2000, le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) m’avait aussi sollicité pour prendre part au comité de pilotage ‘Mesure de la performance globale de l’entreprise’.

En tant qu'expert de la théorie des parties prenantes, comment conseillez-vous aux entreprises de gérer les attentes parfois contradictoires de leurs différents groupes de parties prenantes tout en restant éthiques et socialement responsables ?

L’entreprise doit chercher en permanence à aligner sa raison d’être et ses valeurs centrales avec ses actions. Elle doit aussi se fixer des limites à ne pas franchir dans ses relations avec les parties prenantes (respect, dignité, prise en compte de la vulnérabilité de certains). Dans l’approche Stakeholder, les entreprises sont vues comme des instruments de création de valeur pour toutes les parties prenantes. Le dialogue avec les parties prenantes est nécessaire et il s’apprend. Chaque partie doit être formée pour bien dialoguer. L’important est de faire avancer une réflexion commune, multipartite, sur les problématiques essentielles (identifiées à partir d’une matrice de matérialité). En France, la loi sur le devoir de vigilance (2017) incite les entreprises à prévenir les atteintes graves aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et sécurité des personnes et à l’environnement. Cela passe par la mise en place d’un plan de vigilance élaboré en association avec les parties prenantes et cela suppose une certaine structuration du dialogue. L’objectif est déjà de pouvoir cartographier les parties prenantes, d’écouter leurs attentes, de faire apparaître en toute transparence des points de divergence et de trouver des solutions innovantes au bénéfice de tous, pour chercher des bons compromis.

Selon vous, quels seront les principaux défis et opportunités pour les professionnels formés dans votre programme de Master en termes d'éthique des affaires et de responsabilité sociétale au cours des cinq prochaines années ?

Le défi majeur est de faire de ces professionnels RH les premiers concernés par la mise en place de la transition socio-économique, afin qu’ils contribuent à diminuer l’impact de l’activité de l’entreprise. Cela nécessite la mobilisation de tous les acteurs pour transformer la culture organisationnelle et surmonter les résistances internes. Par ailleurs, il leur faudra anticiper les compétences futures et accompagner les collaborateurs pour qu’ils puissent les acquérir et les développer. Les professionnels RH devront également anticiper les conséquences des évolutions sociales et écologiques sur les conditions de travail. Par ailleurs, ils seront être les garants d’une utilisation éthique et responsable des technologies mobilisant l’IA.
L’enjeu n’est rien d’autre qu’un enjeu de survie pour les organisations mais aussi pour notre civilisation. Plus la transition s’opère tardivement et plus elle sera difficile, ainsi que l’évoquait déjà Dennis Meadows en 1972 dans son rapport.

Pour plus d'informations : https://iae.ube.fr

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